La demoiselle qui ne pouvait entendre parler de foutre

ÉDITÉ PAR JULIE BERLOT

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[NOTE DES ÉDITEURS : C’est presque naturellement que Julie Berlot en est venue à nous proposer de traduire et publier à nouveau quelques textes du Moyen Âge. Si vous aussi vous en avez sous le coude, n’hésitez surtout pas à nous les faire parvenir. Nous les trouvons vraiment géniaux.]

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Ce texte écrit entre le 12ème et le 14ème siècle est extrait d’un recueil de fabliaux érotiques. Son auteur, probablement d’avoir fauté, a préféré ne pas se faire connaître et demeure à ce jour encore inconnu. Bonne et réjouissante lecture!

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Dans cette fable nouvelle,
On nous parle d’une demoiselle
Qui était très orgueilleuse
Et félonne et dédaigneuse :
Si bien que – ma foi, j’irai jusqu’au bout –
Elle ne pouvait entendre parler de foutre
Ou de coucherie à aucun prix
Sans avoir mal au cœur
Et être très en colère.
Et son père l’aimait tant
– Parce qu’il n’avait pas d’autre enfant –
Qu’il obéissait à toutes ses volontés :
Il était plus à elle qu’elle à lui.
Ils vivaient seuls tous les deux,
N’avaient ni servante ni serviteur
Bien qu’ils fussent riches.
Et savez-vous pourquoi le prud’homme
N’avait pas de serviteur dans sa maison?
La demoiselle n’en voulait pas,
Parce qu’elle était faite de telle sorte
Qu’elle n’aurait pas supporté
Qu’un serviteur parle de coucherie,
De vit, de couille ou d’autre chose.
Et pour cette raison, son père n’ose pas
Avoir de serviteur un mois entier,
Bien qu’il en eût grand besoin :
Pour battre son blé et pour vanner,
Pour mener sa charrue,
Et faire les autres travaux.
Mais il hésite à prendre un serviteur
À cause de sa fille qu’il chérit trop,
Jusqu’à ce que, par hasard, un jeune homme
– Qui connaissait bien la ruse et la tromperie –
Loge dans cette ville.
Il voulait gagner son pain,
Il entendit parler de ce prud’homme
Et de sa fille, qui haïssait
Les hommes et ne s’intéressait
Ni à leurs actions ni à leurs paroles.
Ce jeune homme s’appelait David
Et il allait tout seul de part le monde
Comme un preux, il allait chercher l’aventure !
Quand il eut de solides informations
Sur la demoiselle
Qui avait si mauvais caractère,
Il alla tout droit à la maison
Où elle vivait avec son père :
Elle n’avait ni sœur ni frère
Ni boiteux, ni bien fait, ni muet, ni sourd..
Le prud’homme était dans la cour :
Il étrille et prépare ses bêtes
Et retourne son bois au soleil –
Il s’occupe de son travail.
Et voici David
Qui vient le saluer
Et lui demande de le loger
Au nom de Dieu et de Saint Nicolas.
Le prud’homme ne lui dit pas non
Mais il n’ose pas le lui accorder,
Ainsi, il lui demande, après un moment,
Qui il est et ce qu’il sait faire.
David lui répond avec sincérité
Qu’il servirait très volontiers
Un prud’homme s’il en trouvait un,
Qu’il sait bien labourer et semer,
Et bien battre le blé et bien vanner,
Et faire tout ce qu’un valet doit savoir faire.
« J’aurais bien besoin de toi,
Par Saint Alose, dit le prud’homme
Mais il y a un obstacle :
J’ai une fille difficile
Qui éprouve trop de honte envers les hommes
Quand ils parlent de coucherie.
Jamais de ma vie je n’ai eu de serviteur
Qui ait pu rester longtemps,
Dès que ma fille entend parler de
Foutre, un malaise la prend
Qui lui saisi le cœur
Si bien qu’elle semble devoir en mourir.
C’est pour cela que je n’ose pas prendre de serviteur
Cher ami, parce qu’ils sont débauchés
Et parlent trop mal
Si bien que j’aurais peur de perdre ma fille!»
David essuie sa bouche
Et puis aussi il crache et se mouche
Comme s’il avait avalé une mouche.
Il dit au prud’homme : « Arrêtez, cher seigneur !
Vous ne devez pas prononcer de mot si grossier !
Taisez-vous, pour l’amour du Dieu céleste,
Car c’est un mot du diable :
Ne le dites jamais plus devant moi !
Pour cent livres, je ne voudrais
Voir quelqu’un qui en parle
Ou qui prononce le mot de coucherie
Sans qu’une grande douleur ne me prenne au cœur!»
Quand la fille du vilain l’entend
– Le jeune homme qui dit cela –
Elle se précipite hors de la maison .
Et dit aussitôt à son père :
« Sire, dit-elle, que Dieu m’aide,
Vous engagerez ce jeune homme
Car il sera bien avec nous.
Celui-ci est tout à ma manière
Si vous m’aimez et me chérissez
Retenez-le, je vous le demande
– Douce fille, comme vous voudrez ! »
Dit le prud’homme qui était très sot.
Et ils engagèrent avec beaucoup de joie
David et le chérirent beaucoup.
Quand il fut l’heure de se coucher,
Le prud’homme appelle sa fille :
« Dites-moi, ma demoiselle,
Où David pourra-t-il se coucher ?
– Sire, si cela vous convient
Il peut bien s’étendre avec moi
Il me semble très honnête
Et a fréquenté de bons endroits.
– Ma fille, faîtes tout
Comme vous voudrez, dit le prud’homme.
Près du feu, au milieu de la maison
Se coucha le prud’homme pour dormir,
Et David alla se coucher
Dans la chambre de la demoiselle,
Qui était très avenante et très belle:
Elle avait la chair blanche comme une fleur d’aubépine :
Si elle avait été fille de reine,
Elle aurait été belle à souhait.
David lui met la main
Directement sur les seins
Et lui demande ce que c’est.
Elle dit : « Ce sont mes seins
Qui sont très blancs et beaux :
Ils n’ont rien de laid ni de sale. »
Et David fait descendre sa main
Droit au trou, sous le ventre
Là où le vit entre dans le corps,
Puis il sent les poils qui poussaient
Ils étaient encore doux et tendres.
Il tâte bien tout de sa main droite
Puis demande ce que cela peut être.
« Ma foi, dit elle, c’est mon pré
David, là où vous tâtez,
Mais il n’est pas encore fleuri.
– Ma foi, dame, dit David,
On n’y a pas encore planté d’herbe.
Et qu’est ce que c’est au milieu de ce pré,
Ce fossé doux et béant?
– C’est, dit elle ma fontaine,
Qui n’a pas encore jailli.
– Et qu’est-ce que c’est, juste après,
Dit David, dans ce lieu élevé ?
– C’est le sonneur de cor qui la garde
Dit la pucelle, c’est la vérité :
Si une bête entrait dans mon pré
Pour boire à la fontaine claire,
Aussitôt le sonneur sonnerait du cor
Pour lui faire honte et peur.
– Voici un sonneur de cor diabolique,
Dit David, et de mauvais caractère
Qui veut ainsi mordre les bêtes
Pour que l’herbe ne soit pas gâtée !
– David, tu m’as maintenant bien tâtée,
Dit la pucelle ».
Aussitôt elle met sa main sur lui
Qui n’était ni mal faite ni courte
Et dit qu’elle saura ce qu’il porte.
Alors elle commence à lui poser des questions
Et à tâter ses choses
Jusqu’à ce qu’elle l’ait saisi par le vit
Et lui demande : « Qu’est-ce que c’est, ici
David, si raide et si dur
Qu’il pourrait bien percer un mur ?
– Dame, dit-il, c’est mon poulain
Qui est très raide et très sain,
Mais il n’a pas mangé depuis hier matin ».
Elle se remet à faire descendre sa main
Et trouve la couille velue :
Elle tâte et remue les deux couillons
Et lui demande à nouveau : « David,
Qu’est-ce que c’est, dans ce sachet,
Dit-elle, ce sont deux pelotes ?
David répondit vite : « Ce sont deux palefreniers
Qui doivent garder mon cheval
Quand il paît dans d’autres pâtures.
Ils l’accompagnent toujours,
Ils sont là pour garder mon poulain.
– David, fais-le paître dans mon pré
Ton beau poulain, que Dieu te garde. »
Et celui-ci se tourne de l’autre côté
Et lui met le vit sur le pénil.
Puis il dit à la pucelle
Qu’il avait tournée sous lui :
« Dame, mon poulain meurt de soif :
Il en a eu grande souffrance !
– Va, va l’abreuver à ma fontaine,
Fait-elle, n’aies pas peur !
– Dame, je redoute le sonneur de cor,
Dit David, je crains qu’il ne grogne
Si le poulain entrait dedans !
Elle répond : « S’il en dit du mal,
Les palefreniers le battront bien !
David répond : « C’est bien dit ! »
Aussitôt il lui met le vit dans le con,
Et fait tout ce qu’il a envie de faire,
Si bien qu’elle ne le tient pas pour mou,
Car il la retourna quatre fois.
Et quand le sonneur grogna,
Il fut battu par les deux jumeaux !
Sur ce mot prend fin le fabliau.

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