Megan Whalen Turner
Le Voleur
Extrait
La Terre était seule. Elle n’avait nul compagnon. Elle préleva donc un morceau au centre d’elle-même pour façonner le Soleil. Ce fut le premier dieu. Mais, après un temps, il la quitta. Il promit certes de toujours lui transmettre sa lumière pendant la journée, néanmoins la Terre était de nouveau seule la nuit. Elle préleva donc un morceau à la périphérie d’elle-même et façonna la Lune. Ce fut la première déesse. À son tour, après un temps, la Lune quitta la Terre.
Elle lui promit toutefois de la lumière la nuit, afin de lui tenir compagnie. Mais les promesses de la Lune n’ayant aucune valeur, elle ne lui en envoya qu’un peu, quand elle n’oubliait pas complètement. Lorsqu’elle oubliait, il n’y avait aucun clair de lune, et la Terre était à nouveau seule.
Elle souffla donc sur le firmament et conçut le Ciel. Celui-ci se lova autour d’elle et devint son compagnon. Il lui promit de rester pour toujours auprès d’elle, et la Terre fut heureuse. Les premiers enfants de la Terre et du Ciel furent les montagnes. Héphestia était l’aînée. Puis ils en eurent d’autres, les grands océans et la Mer du milieu, et les plus jeunes furent les fleuves Séperchia et Skander.
Un jour, le Ciel voulut savoir à quoi il ressemblait, aussi la Terre façonna-t-elle mille déesses qu’elle dispersa partout sur elle pour servir de miroirs:: ce furent les lacs. Le Ciel s’y observait:; il était bleu, puis blanc avec des nuages, et parfois noir et parsemé d’étoiles. Lorsque le Soleil se couchait, le Ciel était réellement grandiose. Aussi devint-il vaniteux. Il regarda la Terre, ronde et incolore, et se sentit supérieur.
«:Je suis somptueux, lui dit-il, et toi, tu es insignifiante. Seuls tes lacs sont beaux.:» Il passait son temps à se mirer dans l’eau et n’adressait plus la parole à la Terre. Celle-ci rassembla donc la poussière des montagnes pour créer la neige, et la poussière des vallées pour créer une terre noire et sombre dans laquelle elle répandit les graines des forêts et des fleurs, puis elle se couvrit d’arbres verts et de couleurs vives, et soutint au Ciel qu’elle aussi était magnifique. Mais lui n’avait d’yeux que pour les lacs qui reflétaient sa propre gloire. Ceux-ci portèrent ses enfants, les rivières et les ruisseaux. Jalouse, la Terre fit pousser des arbres autour de chacun des lacs afin de les masquer à la vue du Ciel.
Celui-ci se mit en colère. Il préleva de la terre noire des vallées et de la neige des montagnes, puis il les mélangea avant de souffler de toutes ses forces pour les disperser à travers le monde. Chaque grain devint un humain, certains noirs comme le creux des vallées, d’autres blancs comme la neige des sommets. Ainsi, bien que l’on soit issu de la Terre, il nous faut remercier le Ciel pour notre création, car c’est lui qui conçut l’homme et la femme.
Mais le Ciel était impatient, si bien que son travail ne fut pas aussi abouti que ce qu’aurait fait la Terre. L’homme naquit petit et faible, privé de dons divins. Lorsque le Ciel envoya les hommes défricher les forêts autour des lacs, pour que ces derniers redeviennent visibles, ils furent trop faibles pour les abattre. La Terre les regarda arpenter ses forêts et dit:: «:Pourquoi as-tu créé cela:?:»
Alors le Ciel eut honte. Il lui expliqua qu’il voulait voir les lacs, et la Terre eut honte à son tour, avouant qu’elle désirait que le Ciel ne parle qu’à elle. Le Ciel promit qu’il ne contemplerait les lacs que de temps en temps, et la Terre promit de ne plus masquer que certains d’entre eux. Ainsi redevinrent-ils heureux.
Mais la Terre regarda les humains et les prit en pitié. Ils avaient froid et faim. Elle leur donna donc le feu pour se réchauffer, et des graines à semer. Elle créa des animaux pour qu’ils puissent se nourrir. Seulement, peu importe ce qu’elle leur offrait, ils se montraient ingrats. Ils ne remerciaient que le Ciel de les avoir créés. La Terre se mit en colère et trembla de rage si bien que les maisons que les hommes avaient construites s’écroulèrent et que les animaux qu’ils avaient réunis en troupeaux prirent peur et s’enfuirent.
Alors seulement les humains comprirent qu’ils avaient commis une grave erreur. À partir de ce moment, il y eut toujours des humains pour remercier la Terre de ses dons. Et quelques autres pour remercier le Ciel de leur création.